5 févr. 2008

Interview de Sylvie Landuyt

Sylvie Landuyt a plusieurs activités au sein de la Maison Folie : elle a travaillé pendant 4 ans sur « Grandeur et décadence de la ville de Mahagony » (Brecht) dans ses ateliers dont la représentation de « A mon retour du supermarché, j'ai flanqué une raclée à mon fils » de Rodrigo Garcia (reprise à Lille) a eu lieu le 9 sept 2007. En continuité mais de manière différente, le spectacle « Fable citadine » a émergé.

De nouveaux ateliers ont repris cette année sous un autre thème, totalement différent de «Fable citadine » : via le théâtre antique, être soi face à un groupe qui impose certaines normes (nouveau cycle de quatre ans qui pourrait donner naissance à un spectacle).

Le spectacle « Fable citadine » regroupe des comédiens (semi)-professionnels et amateurs. En pleines répétitions, Sylvie Landuyt nous a donné un peu de son temps pour livrer quelques secrets de cette nouvelle création participative.

Maison Folie : Quelles sont les étapes les plus marquantes de ton parcours ?

Sylvie Landuyt : La première étape pour moi c’est sûr, c’est Barbara Bua. C’est quelqu’un d’important qui est toujours là dans ma tête quand je travaille quelque chose. Puis la deuxième personne très importante pour moi, c’est Frédéric Dussenne, il est toujours là quelque part. Et puis ensuite, c’est la rencontre avec les gens en fait, le travail dans mes ateliers, les discussions avec les gens qui ne font pas du tout partie du milieu théâtral me permettent de garder un ancrage dans la réalité et de trouver l’urgence à raconter. C’est grâce à ces gens-là que tout d’un coup je me dis là il faut que je parle de ça.

Il y a aussi Eimuntas Nekrosius que j’ai rencontré dans un stage international de théâtre et puis des artistes comme Bénédicte Liénard et Marco Martinelli. J’en oublie certainement.

MF : Tu parlais d’urgence. Dans le cas de tes ateliers à l’Allée des oiseaux, quelle est-elle ?

SL : Ce projet est parti des cours que je donnais à Avesnes-sur-Helpe (France) dans l’option théâtre du lycée. Il se fait que le texte que l’on travaillait parlait aussi de la société consumériste et petit à petit on s’est intéressé aux gens qui font aussi partie de cette société par obligation mais qui n’ont pas les facilités et voir comment eux faisaient pour être quand même considérés comme citoyens. Parce que l’on sait qu’à partir du moment où on peut acheter, on est considéré comme citoyens. En tout cas, c’est le cliché que les gens ont. C’est devenu une valeur, le travail est devenu une valeur très importante. De par le travail on peut acheter…Dans le texte, on dit : « Oui, je vais au travail pour pouvoir m’acheter une voiture pour pouvoir aller travailler. » (sourire) On est tous un peu là-dedans. Et comment ça se passe pour les gens qui n’ont pas de travail ? J’ai voulu par mes ateliers savoir ce que les gens pensaient de ce thème-là et j’ai donné des ateliers à l’allée des oiseaux et à la cité du coq. Je me suis retrouvée dans les quartiers dits « difficiles ». Le texte s’est un peu dévié et je me suis dit : « Tiens mais pourquoi il y a eu cette cité ? » Et on est arrivé au pourquoi avoir construit ces cités dans les années 60 avec des appartements qui sont devenus aujourd’hui complètement vétustes.

MF : Comment s’est passée la rencontre avec les habitants de l’allée des oiseaux?

SL : Très simplement parce que quand j’arrive quelque part, je ne dis pas que je veux faire du théâtre. Ce qui m’intéresse, c’est de rencontrer les gens. Et donc Radia Boudaoui qui s’occupe de l’Article 27 a réellement été mon intermédiaire et a permis que je rencontre les gens de manière plus facile et plus rapide. Et elle m’a fait rencontrer l’assistante sociale, Catherine Vincent, qui est une personne incroyable, vraiment passionnée. Elle recevait les gens et moi je parlais avec eux, j’étais assise sur un banc, j’allais aux soirées ramadan et puis je mangeais avec eux. J’ai dit que je voulais faire un atelier et puis les enfants sont venus mais je n’ai pas dit que je voulais spécialement faire du théâtre. Je leur ai dit je vais travailler à partir de ce que vous avez envie.

MF : Quel public as-tu pour « Fable citadine » ?

SL : Il n’y a plus que des enfants qui ont entre 6-13 ans, on va dire des grands enfants.

MF : Donc tu as vu leur évolution ?

SL : Ce qui est très beau dans ces histoires-là, c’est vraiment magnifique parce que du premier jour jusqu’à la première répétition, il y a Gloria qui n’avait jamais touché un violon de sa vie et pendant les répétitions, il y a un violon qui traîne et là elle prend le violon et c’est comme si elle avait joué toute sa vie. Et puis il y a une autre fille, elle voulait faire du théâtre tout de suite, elle était introvertie et maintenant elle va participer à un court métrage avec moi au mois de janvier. En tout cas, il y a une très grande amitié entre nous et c’est au-delà du théâtre.

MF : Comment te positionnes-tu dans ce projet ?

SL : Je guide peut-être par ma personnalité, par ce que je sais et parce que j’ai une passion que j’ai envie de partager. Je ne pousse rien : j’ai rencontré pas mal de jeunes et j’aurais pu peut-être en avoir 30-40 mais je n’ai pas poussé. Je suis quelqu’un de très sévère et exigeant, je ne veux pas brader mon art. Je ne fais pas de l’occupationnel, ça je refuse, je ne suis pas animatrice : comédienne avant tout.

MF : Tu as différentes casquettes : metteur en scène, écrivaine…

SL : J’ai fait un peu de mise en scène mais je ne me considère pas encore comme metteur en scène. Peut-être qu’un jour, je me dirai : « Tiens j’en ai réussi autant donc peut-être que je suis bien metteur en scène. Maintenant, c’est la première fois que je vais faire une mise en scène avec un groupe aussi important, donc pour moi, c’est mon premier défi.

Pour écrivaine, c’est la même chose : avec « Fable citadine », il se fait que j’ai écrit le texte avec Luc Malghem mais je ne me considère pas comme auteure non plus. Oui, j’ai écrit « Lou », un deuxième texte « Quand j’avais été grand », une nouvelle commande pour une comédienne mais je ne le suis pas encore. Il y a des moments où je sens les choses et je les écris de manière intuitive. Un auteur doit être plus intellectuel. Je ne fais pas de l’écriture derrière mon ordi : j’écris en pensant au plateau, du fait que je suis comédienne. Si je n’étais pas comédienne, je n’écrirais pas. C’est parce que je connais le plateau que je me dis « Oh j’ai envie d’écrire ça ! »

MF : Quelles sont les autres disciplines pour « Fable citadine » ?

SL : Marie et Citlalli par bonheur jouent du violon, Lisa du piano. Il y aura de la musique « live » (sourire) et il y aura des arrangements pré-enregistrés, de la vidéo/photo avec Alessia Contu (photographe) qui va rencontrer les gens de l’allée des oiseaux. Il y a une manière de rencontrer les gens : les enfants, c’est eux qui nous permettent de rencontrer aussi les autres.

Le nord de la France est aussi intéressé par ce projet car il y a beaucoup de projets de rénovation des tours mais les gens se sont habitués à vivre comme ça, c’est une famille. C’est difficile de « redispatcher » les familles comme ça. Moi quand je ne me sens pas bien, je vais à l’allée des oiseaux !

MF : Quelle ambiance ressens-tu suite à l’incendie (19-20 fév 2002) ?

SL : Je trouve les gens très solidaires. C’est comme dans les villages, il y a des cancans, des disputes, c’est assez rigolo. L’incendie est toujours présent, c’est un souvenir lourd. Il y a des gens qui en parlent et il y an a qui n’ont pas, plus envie d’en parler. C’est un vrai traumatisme. Mais je n’en parle pas dans l’histoire, j’en parle plus. Mais ça m’a marqué personnellement : quand c’est arrivé, moi je donnais des cours à la Fabrique de théâtre (Frameries) et j’ai essayé de sensibiliser les enfants à cet événement-là. Et je ne veux pas qu’on oublie. Donc le premier palier, on a fait le spectacle et l’incendie était là, c’était de la vidéo.

MF : Tu passes à autre chose ou c’est une continuité pour « Fable citadine » ?

SV : C’est une espèce de continuité : donc voilà on a parlé de l’incendie et pourquoi il y a eu ce drame. Je raconte aux enfants l’histoire, quand ça (les tours) a été construit, on en discute. Maintenant l’histoire c’est « Fable citadine » (une parabole urbaine). C’est une fable, on est dans l’histoire. C’est un texte écrit par Luc Malghem et moi-même.

MF : Quelle méthode de travail vas-tu adopter pour « Fable citadine » ?

SL : Ma méthode de travail part d’un texte qui a traversé les temps, par exemple mais ça peut être aussi une bd, un film qui a marqué les participants. L’histoire part toujours de ce que l’autre me donne, ce qui ressort de leur personnalité, du contexte de leur vécu. Mais dans « Fable citadine », il n’y a plus personne qui se reconnaîtra : tout le monde peut se reconnaître (public et participants) mais même si c’est une création participative, ce ne sera pas du Frédérique Lecomte, ce ne sera pas quelqu’un qui vient se déballer comme ça. Même s’il y a du déballage, même si ça touche à l’individualité, c’est une individualité qui est transcendée, devient poétique et donc universelle.

MF : Plus collectif et moins lié au vécu de chaque participant…

SL : Voilà mais j’aime beaucoup ce que fait Frédérique Lecomte.

MF : De toute façon, cela part de l’écrit de Luc Malghem ?

SL : Ce n’est pas l’écrit de Luc Malghem. C’est une écriture collective : de la matière que moi j’ai amenée à Luc, que lui a écrite et qu’il m’a ramenée et que je retriturais. C’est pas un travail où un auteur amène un texte et nous on travaille sur le texte, ça peut toujours changer. Pour moi, c’est le plateau qui donne le texte.

MF : Et pourquoi travailler avec Luc Malghem ?

SL : Parce que ce n’est pas quelqu’un qui est « Ah c’est mon œuvre on ne peut pas y toucher. » Moi je ne peux pas travailler comme ça. Même s’il en souffre, mais tant pis, il sait qu’il arrive que je dise « Non, c’est de la m… ! » (rire) Alors il rigole mais je le fais aussi exprès d’être un peu choquante. J’aime bien provoquer un peu.

MF : Le fait de créer « Fable citadine » à la Maison Folie, qu’est ce que cela apporte ?

SL : Moi, j’adore cet endroit, j’ai commencé ici. J’ai connu presque toutes les étapes de cette maison : de la maison de la culture à maintenant. Je connais aussi bien la femme de ménage qu’Anne André, à tous les niveaux. Quand j’arrive ici, c’est un peu ma deuxième maison. Par rapport à « Fable citadine », ça fonctionne très bien. C’est un endroit où je peux faire des essais, c’est un endroit super important pour moi, oui.

Interview réalisée pour la Maison Folie (Mons-Belgique), dans le cadre du journal de la Maison Folie (numéro 0)